Lors d’un entretien téléphonique accordé à Haïti Aujourd’hui, dimanche 23 février 2020, Antonal Mortimé parle d’une situation extrêmement difficile pour le secteur des droits humains dans le pays. Le numéro 1 de Défenseur plus dans cette interview, prend sa distance avec les violences policières, tout en appelant l’État à assumer ses responsabilités.



Haïti Aujourd’hui : Concernant le mouvement des policiers syndiqués, quelle est la position de défenseur plus sur ce dossier ?


Antonal Mortimé : Le gouvernement à cause de sa passivité, a laissé un ensemble de problèmes sociaux s’aggraver, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent plus complexes. Cela met l’État haïtien dans des situations plus difficiles pour trouver des solutions viables à la fin de la crise. 

Parmi ces problèmes, il y a les mauvaises conditions de travail des policiers. Et c’est ce qui est à la base des mouvements des policiers revendicateurs. Par exemple, avec un salaire de 19.000 mille gourdes, les policiers n’arrivent pas à joindre les deux bouts.

Nous avons visité les espaces où se logent les policiers. Et le constat est alarmant. Ce n’est pas digne d’un fonctionnaire de l’État de se retrouver dans une telle situation. Les conditions sanitaires, logistiques, et humanitaires ne sont pas réunies. Généralement, les Organisations qui contrôlent les prisons parlent de mauvaises conditions de détentions.


H. A : Toujours dans ce même registre, y-a-t-il lieu de parler d’une situation d’insécurité pour les policiers eux-mêmes ?


A.M: En plus de cela, il y a un problème de sécurité publique pour les policiers. Défenseur plus a noté durant l’année 2017, une vingtaine de cas de policiers assassinés. En 2018, le chiffre est augmenté à 25. Et, en 2019, c’était 45 policiers tués. Ceux-ci sont devenus des cibles, alors qu’ils sont responsables de la protection de la vie et des biens des citoyens.

En outre, il faut signaler qu’au niveau de l’État, il y a un déséquilibre dans la manière de procéder par rapport aux policiers. Par exemple, dans les façons d’accorder les grades aux policiers, les transferts, les avantages sociaux etc. Toutes ces situations viennent aggraver le problème.


H. A : Donc, Défenseur Plus n’est pas contre l’idée des revendications sociales des policiers ?


A. M: Défenseur plus, qui est un organisme de promotion et de défense des droits humains, croit dans les revendications. Et dans celles du respect des droits fondamentaux, et des libertés publiques et individuelles. La liberté syndicale est un droit politique. Et c’est aussi un droit social.



Cependant, nous n’approuvons pas la forme de ces revendications. Les mouvements violents ne sont pas institutionnels.


H. A : Il faut dire qu’au même moment où les policiers organisent leurs mouvements, l’insécurité continue de faire rage dans le pays. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?


A.M: C’est là tout le sens de l’interview. Parce que le mouvement des policiers se fait dans un contexte de crise politique et sociale, où le pays fait face à une remontée spectaculaire de l’insécurité. Et cette situation laisse le champ libre aux kidnappeurs, et à toutes les personnes de mauvaises prétentions.


En effet, le niveau de violence dans la société est inacceptable. Déjà, il y a une violence institutionnelle. Et c’est dans ce contexte que tout ça se passe. Cette violence est la résultante de la crise institutionnelle qui sévit dans le pays.



H. A : Défenseur Plus, ne craint pas une dissolution de la PNH, face à tous ces problèmes ?


A. M: Oui, l’organisme a cette inquiétude. J’ai parlé tout à l’heure de la forme que prend la protestation. Et cette manière de procéder, ternit l’image, non seulement des protestataires, mais aussi de l’institution policière. Si la tendance continue, les policiers risquent de perdre l’empathie de la population. Ce qui s’est passé durant la journée du dimanche 23 février, montre la nécessité pour l’État de prendre en main rapidement cette situation. Les policiers contestataires doivent aussi chercher la meilleure façon possible pour faire passer ces revendications, pour ne pas mettre la sécurité publique en danger, ni le prestige de la PNH.

H. A : Quel constat Défenseur Plus fait du respect des droits humains en Haïti ?

A. M: On ne peut pas parler de jouissance en termes de respect des droits fondamentaux, en considérant tous les problèmes sociaux existants. Durant ces cinq dernières années, les droits humains ont régressé dans le pays. Il y a plus de misère, de violence. En outre, les droits politiques ne sont pas respectés ni les droits à l’identité etc. 

Il est temps pour la société de se réveiller enfin de son sommeil pour défendre les droits collectifs et individuels.


Ralph Thierry Cadet