Dans une publication datée du 5 mars 2020 sur son site internet, le département d’État déconseille aux ressortissants américains de voyager en Haïti. En douze mois c’est la deuxième fois que les autorités américaines mettent Haïti sur la liste des pays à éviter. Les raisons évoquées sont l’insécurité qui sévit dans le pays et qui a déjà fait des victimes américaines.

Les manifestations, les pneus enflammés, les routes barrées (peyi lòk) sont également cités. Nous y trouvons aussi les carences de moyens de la police, des urgences et des infrastructures publiques en général.

Certains voient dans cette décision un désaveu du nouveau gouvernement de la part des États-Unis. Même si nous pouvons avoir différents niveaux de lecture de cette situation ce n’est pas du tout le cas.

Les dirigeants américains sont engagés, avant tout, à protéger leurs concitoyens. L’état délétère de la sécurité dans notre pays est notoire et ne peut plus être dissimulé. Même les Haïtiens de la diaspora ne rentrent plus en ce moment. Comment voulez-vous qu’un pays aussi bien gouverné que les États-Unis, avec lequel nous avons des relations si étroites recommande autre chose à ses habitants ?

Il y a, ensuite, sans doute aussi, un coup de pression pour obliger le gouvernement haïtien à prioriser le rétablissement d’un climat sécuritaire dans le pays. D’aucuns relèvent le timing de la décision 24 heures après la nomination du gouvernement. Cela tombe comme un cheveu sur la soupe. Cela dit, déjà dans sa déclaration du 4 mars 2020, l’ambassade américaine avait désigné l’insécurité comme une urgence pour le nouveau gouvernement. Elle avait salué et assuré cette nomination de son support.

C’est, enfin, une prise de distance, qui laisse une marge de manœuvre pour que les États-Unis ne soient jamais totalement, en dépit de leur soutien, alignés sur la position du gouvernement haïtien. Des subtilités qu’il faut savoir repérer pour comprendre la complexité de la politique américaine en Haïti. Ceux qui espèrent désespérément un lâchage de Jovenel Moïse par les américains devront attendre.

Le message de ces derniers semble avoir été reçu cinq sur cinq par le président Jovenel Moïse et le gouvernement. Le chef du gouvernement, Jouthe Joseph, a profité de la cérémonie d’installation du nouveau ministre de la justice, monsieur Lucmane Delile, pour adresser un message fort aux bandits. Il a déclaré qu’ils allaient construire de nouvelles prisons afin de les « mettre hors d’état de nuire ». Lucmane Delile, ancien commissaire du gouvernement sous la présidence de Michel Martelly a ajouté que « la peur allait changer de camps ».

Le pays devrait, somme toute, saisir la balle au bon, et solliciter, hélas encore une fois, l’aide américaine pour démanteler les réseaux de gangs. Le savoir-faire états-unien en la matière, du FBI notamment, est à nul autre pareil. Il convient d’admettre que les autorités haïtiennes sont outrageusement dépassées. La police n’a ni les moyens humains et techniques, ni les compétences pour le faire. Les nombreuses interventions ratées dans les fiefs des gangs de ces dernières années en témoignent. Le gouvernement doit saisir cette opportunité afin de mettre en place une véritable politique publique de sécurité qui ramenera la paix civile en Haïti.

Ricardo Matalbert