Il est de notoriété publique que les provisions légales n’étaient pas au rendez-vous pour une réforme constitutionnelle en Haïti en 2021. Mais au concert des États de droit le pays du président Jovenel Moïse fait « État d’exception. » Et cela ne date pas du temps de ce dernier. Tellement de lois ont été violées et depuis toujours, qu’on ne peut plus envisager aujourd’hui de solutions pleinement constitutionnelles pour sortir de la crise. Dès lors, seules certaines conditions comme la sécurité des vies et des biens, le soutien diplomatique des puissances tutélaires et surtout de la classe politique, pouvaient garantir le succès d’une telle entreprise. Force est de constater qu’aucune de ces conditions n’est remplie. 

Avant que le président Jovenel Moïse ne la mette sur le tapis, l’idée d’un changement ​de constitution ou, à tout le moins, d’un nouvel amendement constitutionnel faisait quasi-unanimité. Mais les faits montrent qu’un président aussi contesté et isolé ne peut pas endosser une telle mission. L’erreur est dans l’adéquation homme / projet. En d’autres termes ce n’était pas l’homme idoine. 

Monsieur Moïse avait, il est vrai, formulé le vœu de cette réforme bien avant son élection à la magistrature suprême. N’ayant toutefois jamais réussi à rassembler au-delà de son propre camp politique, il y avait fort à parier que ce projet péricliterait. 

Brandi par les opposants politiques, l’article 284-3 de la constitution de 1987 amendée est compris différemment par les antagonistes. Nous pouvons lire dans le titre XIII  amendements à la constitution : « Toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite. »  

Les pourfendeurs du projet y lisent une interdiction formelle de toute consultation populaire pour une modification de la constitution. Tandis que ses promoteurs affirment que justement ils ne souhaitent pas toucher à l’actuelle constitution. Ils en proposent une nouvelle. Dans ce cas, selon eux, un référendum est possible. Admettons. 

Faut-il alors se rappeler que dans cette démocratie représentative (c’est-à-dire le peuple exerce le pouvoir au travers de ses élus) qu’Haïti est censée être, c’est le « Pouvoir Législatif » qui, « … au deux (2/3) de chacune des deux (2) Chambres … a le droit de déclarer qu’il y a lieu d’amender la Constitution, avec motifs à l’appui. » Et ce, « sur la proposition de l’une des deux (2) Chambres ou du Pouvoir Exécutif. » Art. 282 ; 282-1. Le président de la République ne peut que proposer à l’Assemblée nationale et n’a donc pas le droit de déclarer qu’il y a lieu d’amender la constitution. Décider du sort de la constitution, d’une manière ou d’une autre, ne fait pas partie des prérogatives de l’Exécutif

La fin de mandat de la 50ème  législature de la Chambre des députés avait mis en bière la promesse de réforme constitutionnelle de Jovenel Moïse. Et son fameux « constat » de fin de mandat des 2/3 du Sénat dans la nuit du 12 janvier 2020 en a été les clous. Un tour de vis supplémentaire dans la polarisation de la vie politique qui n’en demandait pas tant.

Outre cela, ce projet n’a jamais rencontré le soutien populaire qu’a bien voulu lui prêter ses porteurs. La population ayant des préoccupations plus immédiates, telles la sécurité et la satisfaction d’autres besoins primaires. A-t-on vu une réelle initiative populaire en soutien au projet ? Et pourtant, quasiment tous les jours se tiennent des rassemblements pour le dénoncer. 

À contrario, l’Exécutif donne l’impression d’être totalement déconnecté de la réalité et de n’être qu’accessoirement concerné par le sort dramatique des citoyens. L’insécurité galopante, les massacres dans les quartiers pauvres, le fléau des enlèvements, la faim, le chômage qui ravagent le pays n’ont qu’une seule réponse : changeons la Constitution. 

Le mécontentement général offre un ancrage certain aux revendications les plus cyniques de l’opposition radicale. Elle va gagner sur la question du référendum qui n’aura probablement pas lieu. Mais la nation aura perdu. Les solutions avancées par l’opposition ne sont pas moins illégales que celles qui sont appliquées actuellement. D’où le besoin d’un indispensable pacte politique. 

L’opposition envisage une transition qui n’est pas prévue par cette trop bonne Constitution pour laquelle elle se découvre un amour fou. Au cours de cette transition qui devrait durer 3 ans, elle se propose de changer la Constitution de 1987 qu’elle reproche aujourd’hui à Jovenel Moïse de vouloir changer ! Même s’il n’y aura toujours pas de parlement pour déclarer qu’il y a lieu de la changer et voter son amendement. 

D’aucuns avancent la thèse de la fin de mandat de Jovenel Moïse pour lui enlever toute légitimité à faire cette réforme. Dans l’hypothèse où son mandat avait effectivement pris fin le 7 février 2021, il resterait plus légitime que tous les apparatchiks qui rêvent de prendre les rênes du pays, sans avoir jamais reçu l’onction des urnes pour conduire la nation. Ce serait bien plus démocratique

Il faut cependant souhaiter que le référendum n’ait pas lieu sans un large accord politique. Car cela enfoncerait le pays encore plus dans la crise. Il serait bien plus divisé qu’aujourd’hui et peut-être pour longtemps. Chaque camp continuerait à brandir SA constitution se vouant mutuellement aux gémonies. Les mensonges éhontés des opposants sur le contenu des avant-projets publiés récemment nous en donnent quelques indications. En même temps, l’actuelle mouture est gravement lacunaire et ne saurait être validée en l’état.

Les suzerains de l’international ont déjà tous pris leur distance. Voyant venir la pagaille qui va encore conforter leur emprise sur la colonie. Car la division des acteurs politiques leur garantit le contrôle. Ils publient des notes, des communiqués, des résolutions en réponse à la vassalité des colonisés de tous bords. Les uns en appellent à l’OEA, les autres écrivent à des parlementaires et responsables de pays étrangers, pendant que des clowns vont marcher à Washington et les capitales européennes les invitant à venir faire la loi, CHEZ NOUS ! 

Bien plus que la Constitution c’est cette classe politique et ces pseudo-élites qu’il faut balayer sans ménagement pour l’émergence d’un nouveau personnel politiqe. Sinon point de salut. 

HaitiAujourdhui.com | Ricardo MATALBERT