Le combat contre le racisme aujourd’hui ne doit pas se focaliser seulement sur l’aspect institutionnel en pointant du doigt uniquement les États à travers les violences des forces de l’ordre. Lutter contre le racisme institutionnel comme on peut l’identifier effectivement dans les brutalités policières c’est bien, mais lutter contre le racisme religieux et le racisme linguistique serait encore mieux.

Dans le présent texte, nous essayons d’attirer votre attention sur ces racismes silencieux, mais qui sont très ancrés dans l‘histoire de l’humanité. Le racisme religieux et le racisme linguistique se sont construits au fur et à mesure jusqu’à décliner sur différentes formes et se sont propagés dans les différentes activités humaines. Ils doivent aussi, à l’instar du racisme institutionnel, être les cibles de toutes celles et de tous ceux qui veulent « zéro tolérance » contre cette anomalie humaine qu’est le racisme qui continue de nous opposer, nous diviser et nous tuer.

Depuis le 25 mai 2020 le monde est agité par des manifestations plus précisément dans les sociétés occidentales, à commencer par les États-Unis puis dans tous les autres pays du monde. Pourquoi et dans quel contexte ? George Floyd, un Américain noir tué par un policier blanc dont le genou a été violemment enfoncé pendant près de neuf minutes sur sa nuque jusqu’à causer la mort de l’homme de 46 ans, alors que ce dernier a été menotté et plaqué au sol.

Révoltés par cet acte criminel et inhumain que tout le monde a pu suivre en direct et dont la vidéo continue de tourner en boucle sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, des manifestants de tout horizon ont gagné les rues non seulement pour réclamer justice pour George Floyd, mais aussi pour lutter contre les violences policières que l’on qualifie de racisme systémique.

Ces manifestations suffisent-elles pour combattre le racisme qui n’est pas seulement institutionnel, policier voire étatique, mais qui est également linguistique, religieux, économique, idéologique, etc. ? Comment déraciner ces différentes formes de racisme qui nous échappent et qui vont au-delà d’une simple institution, de l’espace territorial d’un État, et qui font partie intégrante de la construction de l’humanité dans toutes ses facettes ?

Conscient de l’existence de ces racismes qui sont plus forts que ce que nous constatons dans nos rapports avec nos semblables et face aux institutions publiques et privées, nous voulons tenter de placer la barre un peu haut afin de vous inviter à vous rendre compte de ces formes de racisme contre lesquelles nous devons lutter ensemble. Le racisme religieux et le racisme linguistique seraient, à notre avis, la genèse de toutes les autres formes de racisme qui nous rongent.

En effet, la lutte contre le racisme, au sens global, ne doit pas être seulement du point de vue légal ni institutionnel. Elle doit être aussi et surtout linguistique et religieuse.

Linguistique : cette lutte doit mettre en avant toutes les expressions et tous les mots qui se sont construits autour de la couleur noire pendant longtemps que nous utilisons chaque jour, sans être conscients de leur fondement. Ces mots nous servent justement à exprimer la négativité vis-à-vis de la couleur noire. Par exemple, pour justifier la galère que nous avons vécue pendant une journée, nous la représentons et l’expliquons comme une journée noire ou un moment noir.

Religieuse : la religion nous a pendant longtemps présenté Dieu, les bons anges comme des êtres blancs, gentils, bienveillants, sensibles, alors que le diable, les démons et tout ce qui est mal est représenté comme noir, méchant, violent, insensible, etc. Autrement dit, tout ce qui est bon, bien, beau, intelligent est blanc avec une certaine positivité tandis que le mal, la mort et tout ce qui est laid et négatif est noir.

La construction du racisme sur la couleur noire par rapport à la couleur blanche n’est pas anodine. Cette construction, devenue si réelle et puissante, gangrène toutes les sphères de la société. Elle est partout : de la société civile jusqu’au plus haut sommet de l’État avec comme point de départ, la religion et certains mots et expressions linguistiques. Par exemple, quand on veut honorer la mémoire de quelqu’un qui a été victime d’un quelconque malheur et qu’on veut demander justice pour la victime, on organise une marche blanche. La marche noire, quant à elle, est organisée pour exprimer la tristesse ou la colère. Le rituel de la messe noire est réalisé pour acquérir le soutien et l’écoute des puissances infernales.

De même, quand on veut définir des stratégies de sécurité au niveau de l’État, on élabore le livre blanc de la sécurité intérieure ou le livre blanc de la défense, mais pas noir. On nous a toujours enseigné aussi que pour se purifier après avoir commis un péché, il faut s’habiller tout de blanc et prier pour avoir le pardon, mais jamais en noir. Par contre, si on a besoin de faire du mal à quelqu’un, il est fortement conseillé de s’habiller en noir pour attirer les forces négatives sur lui.

Cela dit, la lutte contre le racisme ne doit pas seulement être une affaire de l’État. Elle doit être aussi un engagement ferme de toutes les religions. Et, évidemment les linguistes ou académiciens linguistiques ont leur rôle à jouer dans ce combat. La religion a construit, au même titre que l’État, sa domination pendant des siècles sur l’homme. Elle peut exercer, en effet, son pouvoir à la fois temporel et intemporel pour lutter contre le racisme. Aussi, les académiciens de différentes langues du monde, ont le pouvoir de supprimer ou ajouter le sens de certains mots et des expressions dans leur langue. Car ils ont tous contribué, à leur manière, à la construction d’un monde raciste et injuste dans lequel nous vivons aujourd’hui. C’est pourquoi, ces acteurs devraient œuvrer également à construire un nouveau monde en éradiquant le racisme.

Lutter contre le racisme ou les racismes en ciblant uniquement les forces de l’ordre, les institutions étatiques, donc l’État en général en laissant de côté la religion et toutes les expressions linguistiques symbolisant la négativité et le mal de la couleur noire ou autres par rapport à la couleur blanche, c’est vouloir couper les branches d’un mauvais arbre dans le jardin, mais en laissant son tronc et toutes ses racines bien ancrées dans la terre. Vous comprendrez rapidement que l’arbre va se régénérer très vite pour continuer à grandir, pousser de nouvelles branches jusqu’à porter des fruits. La mort de Floyd aux États-Unis et toutes les autres victimes à travers le monde qui sont tombées, blessées, humiliées, discriminées, battues, emprisonnées injustement tout au long de l’Histoire sous les conséquences du racisme, sont les fruits de cet arbre qui n’a jamais été arraché ou déraciné complètement dans le jardin.

Ainsi, nous devons admettre que la lutte contre le racisme doit toucher du doigt tout ce qui nous échappe dans nos rapports sociaux au quotidien, mais qui nous impacte négativement. Elle doit remettre en cause toute la genèse de ce monde humain construit au sens idéologique, économique, social, religieux, linguistique, culturel, politique. C’est un double travail qui doit se faire en mettant en évidence la déconstruction de l’ordre établi et la construction d’un nouvel ordre (pas le nouvel ordre mondial qui claironne à nos oreilles et qui sera plus radical que ce que nous avons aujourd’hui).

Dès lors, vous admettrez avec nous que ce travail, cette lutte ou ce changement de fusil d’épaule, dans un parfait équilibre, ne sera pas pour demain. Ce ne sera pas non plus une remise en cause qui se fera en un claquement de doigt, ou ni par une, ni par deux, ni par trois manifestations. Ce sera un travail de longue haleine qui nécessite des engagements comme c’est le cas en ce moment. Des jeunes femmes et des jeunes hommes sont conscients de cette injustice et commencent à embrasser cette cause pour enfin tourner le dos à ce mal historique qui hante nos vies.

Cependant, il faut que cela continue de manière permanente, à tous les niveaux et surtout par tous les humains : les familles, les leaders religieux et politiques, les acteurs économiques, les opérateurs culturels, mais vraiment par tous et partout.

Nous pouvons obtenir plus de résultats dans la lutte contre les différentes formes de racisme, en tenant compte du passé, du chemin parcouru. Il faut du temps, des moyens et de l’engagement.

Francilien BIEN AIME, doctorant en sciences politiques à l’Université de Bordeaux en France.

8 juin 2020

fbienaimeht@gmail.com