L’économiste Enomy Germain qualifie de « cocktail explosif » la situation qui sévit dans le pays. Dans une interview accordée au journal Haïti Aujourd’hui, ce samedi 22 février 2020, il peint un tableau négatif des activités économiques du pays.

Haïti Aujourd’hui : L’automne de l’année dernière, le pays a connu 3 mois d’intenses mouvement politiques, liés au phénomène de « peyi lòk ». Aujourd’hui, la tendance est au kidnapping. Quel est l’impact d’après vous de ces phénomènes récurrents sur l’économie haïtienne ?

Economiste Enomy Germain : D’abord concernant l’année 2019 en général, l’ensemble des évènements qui se sont produits au cours de cette année, notamment le phénomène de « peyi lòk » (pays verrouillé) a des impacts négatifs sur l’économie du pays.

Prenons par exemple, la croissance de l’économie, comme étant le premier indicateur par excellence pour analyser la conjoncture. Eh bien, pour la période, l’économie a réalisé une croissance négative de – 2%. Cette situation est la conséquence des crises politiques qui se sont succédé au cours de l’année 2019. Car, pratiquement tout l’exercice fiscal était marqué par ce phénomène.

Le deuxième indicateur est celle de l’inflation. En effet, on a battu tous les records de mauvaises performances en matière d’inflation pour l’année 2019. L’exercice a terminé avec un taux d’inflation de : 20.1%. La cause de cette inflation, est la rareté artificielle des marchandises dans certaines régions du pays.

Puis, il y a le taux de change. En 2019, la monnaie locale a perdu plus de 15% de sa valeur. Ce phénomène est dû particulièrement aux spéculations qui se font sur le dollar.

Toujours en 2019, plus de 3,7 millions d’haïtiens se sont retrouvés en situation d’insécurité alimentaire.

Pour ce qui est des cas répétés de kidnapping, les secteurs des services, c’est-à-dire hôtellerie, restauration notamment, voient leurs chiffres d’affaires diminuer considérablement. Les gens ne sortent pas la nuit pour consommer. Il faut dire que le tourisme représente par exemple 400 millions de dollars américains par an, en termes de recettes touristiques pour le pays. Depuis, l’année 2000, c’est le secteur qui porte l’économie. Il participe à plus de 50% du PIB haïtien.

H. A : Le Chef de l’État haïtien, Jovenel Moïse, avant même le dysfonctionnement du Parlement, n’a pas eu la chance de doter le pays d’un gouvernement, ni d’un budget national. En effet, ce mois de mars 2020, marquera un an depuis le renvoi d’Henry Céant à la Primature, et deux années consécutives depuis que la présidence reconduit le même budget. Quelle est votre analyse sur cette question ?

E. G: Le budget, c’est l’outil de planification économique par excellence. Tout objectif économique d’un pays pour une année est inscrit dans le budget de l’État. S’il n’y a pas de budget. Il n’y a pas d’objectif. Ce qui sous-entend que le pays n’ira nulle part.

En ce qui a trait au déficit budgétaire pour le premier trimestre de l’exercice en cours (octobre, novembre, décembre 2019), celui-ci est estimé à 15,8 milliards de gourdes. Un déficit énorme que la BRH est obligée de financer. Parce qu’à cause de la crise, les recettes ont été en nette diminution.

H. A: La Police nationale d’Haïti (PNH) est une institution très importante pour la stabilité du pays. Il est le seul corps armé opérationnel dans le pays. Certains policiers réclament la formation d’un syndicat au sein de la PNH. Cette question divise l’institution. Sur le volet économique, quelle répercussion cette crise peut-elle avoir sur le fonctionnement normal de certaines activités ?

E. G: Je ne suis pas un spécialiste dans le domaine. Mais, cette crise au niveau de la Police envoie des signaux négatifs aux potentiels investisseurs, et aux touristes étrangers en particulier. Ça semble dire que le pays n’est pas géré au niveau sécuritaire. Et ça aura des incidences très graves sur les activités du secteur tertiaire (hôtels, restaurants, etc..)

Ralph Thierry Cadet